#Article 1. 4. Ecart de transmission entre la recherche et la pratique clinique dans la théorie de l’attachement

#Article 1. 4. Ecart de transmission entre la recherche et la pratique clinique dans la théorie de l’attachement

Temps de lecture estimé : 37 minutes

L’objectif principal des chercheurs de l’étude dont il est question aujourd’hui est d’examiner comment les cliniciens travaillant avec des enfants et les chercheurs attachementistes comprennent la théorie et la recherche sur l’attachement dans le contexte de la pratique clinique afin d’identifier les domaines de convergence et de divergence. C’est intéressant d’indiquer qu’il y a un écart de compréhension entre les cliniciens et les chercheurs en attachement, c’est plus utile d’essayer de le démontrer.

Les auteurs de cette recherche :

Helen Beckwith est psychologue clinicienne chercheuse à Oxford. Son parcours de recherche est varié et actuellement elle se concentre sur l’amélioration de l’efficacité de l’accessibilité des interventions psychologiques (1).

Marinus Van Ijzendoorn est professeur émérite du développement humain et d’études sur l’enfant et la famille et chercheur. Il étudie les déterminants sociaux, psychologiques et neurobiologiques de la parentalité et du développement de l’enfant, en mettant l’accent sur l’attachement, la régulation des émotions, la susceptibilité différentielle et la maltraitance des enfants (2).

Mark Freeston est professeur, directrice de recherche et docteur en psychologie clinique. Ses principaux intérêts de recherche portent sur le trouble obsessionnel compulsif et le trouble d’anxiété généralisée ainsi que sur d’autres troubles dominés par des pensées intrusives, des inquiétudes et des ruminations (3).

Matt Woolgar est psychologue clinicien consultant au sein du NHS et chercheur en attachement, parentalité, adoption et placement familial (4).

Paul Stenner est professeur et chercheur en psychologie sociale. Il porte son intérêt au développement d’une approche critique et réflexive de la psychologie sociale qui prend le processus de la relationnalité comme notes clés (5).

Robbie Duschinsky est chef du groupe sciences sociales appliqués et maître de conférences en sciences sociales. Ses intérêts de recherche concernent principalement la sociologie de la santé, en particulier de la santé mentale des enfants et des familles (6).

Helen Beckwith, Marinus van IJzendoorn, Mark Freeston, Matt Woolgar, Paul Stenner & Robbie Duschinsky (2022) A “transmission gap” between research and practice? A Q-methodology study of perceptions of the application of attachment theory among clinicians working with children and among attachment researchers, Attachment & Human Development, 24:6, 661-689, DOI: 10.1080/14616734.2022.2144393

Résumé

Les praticiens cliniques sont fréquemment encouragés, par la littérature, la formation et les politiques, à apprendre, comprendre, se référer et utiliser leurs connaissances de la théorie et de la recherche sur l’attachement lorsqu’ils travaillent pour répondre aux besoins des enfants et des familles. Cependant, il y a eu très peu d’études empiriques sur la façon dont les praticiens comprennent et perçoivent la pertinence des concepts et des méthodes d’attachement. La méthodologie Q a été utilisée pour examiner les perceptions de la connaissance de l’attachement et ses applications pour la pratique parmi 30 cliniciens britanniques travaillant avec des enfants et un groupe international de 31 chercheurs sur l’attachement. L’analyse factorielle a révélé trois perspectives, décrites comme : i) pragmatique, développementale et incertaine, ii) académique et iii) autodidacte et thérapeutique. Les participants se sont mis d’accord sur les principes fondamentaux de la théorie, leurs aspirations à la pratique clinique et l’inaccessibilité des mesures d’évaluation actuelles pour les praticiens. Pourtant, ils ont divergé sur leur compréhension de l’insécurité de l’attachement, de la désorganisation et des implications des deux pour divers aspects du développement de l’enfant.

Beckwith et al. (2022) partent du postulat qu’il existe pléthore de livres et d’articles conseillant les praticiens sur la manière d’utiliser dans leur domaine de pratique, la théorie de l’attachement. Mais à côté de cela « il n’y a eu presque aucune recherche évaluant comment la pratique clinique ou de bien être actuelle a réellement été façonnée par cet important corpus de littérature. Il existe un manque particulier de connaissances empiriques concernant la compréhension des concepts d’attachement par les praticiens et leur pertinence » (Beckwith et al., 2022).

Parallèlement à ces nombreuses publications tournées vers la pratique, et malgré le manque de recherche disponible à ce sujet, de nombreuses recommandations et lignes directrices ont été diffusées. Selon Beckwith et al., (2022) quelques recommandations pour les praticiens sont « relativement bien fondés sur les preuves empiriques disponibles », cependant les lacunes dans les connaissances sur la façon dont la théorie et la recherche sur l’attachement peuvent se rapporter à la pratique appliquée ont conduit à des propositions manquant de discernement (Beckwith et al., 2022).

Beckwith et al. (2022) poursuivent en indiquant que des questionnements ont été soulevés par des cliniciens et des chercheurs. Les 1ers s’inquiétant d’une évaluation inapproprié et des décisions de traitement prises au nom de la théorie de l’attachement. Les 2nds ont reconnu la difficulté dans le fait de maintenir l’intégrité des concepts et des méthodes d’attachement lorsqu’ils les appliquent de manière significative à la pratique.

Des déclarations de consensus internationales (7) au sujet de l’attachement désorganisé et des questions de protection et de garde d’enfants ont été effectuées en réponse aux applications erronées de la théorie et de la recherche sur l’attachement. Cependant Beckwith et al. (2022) précisent que ces 2 déclarations ont souligné l’importance de la recherche sur la compréhension professionnelle de la théorie et de la recherche sur l’attachement tout en formulant une inquiétude « quant au manque de preuves empiriques concernant les connaissances réelles des praticiens sur lesquelles s’appuyer et soulignent que ces travaux de consensus ne reposaient que sur des informations anecdotiques et des spéculations concernant la compréhension et la pratique professionnelles ».

Beckwith et al. (2022) dressent ensuite un état des lieux des analyses et études déjà effectuées sur la question de l’écart entre la recherche sur la théorie de l’attachement et les praticiens. En 2011 ils indiquent par exemple que Botes et Ryke ont rapporté une connaissance insuffisante de la théorie de l’attachement et des interventions des travailleurs sociaux en utilisant une « approche de bon sens » de la théorie qui s’est avérée peu cohérente avec cette dernière. Ils citent également l’étude de Wilkins en 2016 qui « ont constaté que les idées d’attachement plaisaient aux praticiens du travail social parce qu’elles mettaient l’accent sur l’importance des problèmes relationnels, des émotions, de l’impact de l’expérience précoce sur l’anxiété et l’expérience des symptômes ». Puis l’analyse historique de Duschinsky faite en 2020 qui « a affirmé que le décalage entre chercheurs et praticiens est pire dans la recherche sur l’attachement que dans d’autres domaines de la psychologie » ou bien encore les travaux de White et ses collègues la même année qui partagent cette préoccupation. L’enquête menée par Hammarlund et al., en 2022 sur des travailleurs suédois de la protection de l’enfance « ont conclu qu’il existe un large fossé entre chercheurs et praticiens, notant un manque important de méthodes d’évaluation validées dans la pratique, combiné à une confiance excessive dans les implications perçues des classifications d’attachement ». Beckwith et al. (2022) concluent cette section en ajoutant que la littérature sur la compréhension de l’attachement par les praticiens restent limitée. « En l’état actuel des choses, nous ne savons pas quelles sont les compréhensions des cliniciens où elles convergent ou divergent avec celles des chercheurs et pensons qu’une enquête plus approfondie sur les 2 est nécessaire » (Beckwith et al., 2022). Dans cette optique les chercheurs justifient leur choix de la méthodologie Q, je vous renvoie à la lecture de leur étude pour connaître les raisons et les caractéristiques de cette technique.

Beckwith et al. (2022) cherchaient à répondre à 2 questions précises :

Comment les cliniciens comprennent-ils et considèrent-ils l’application de la théorie de l’attachement et de la recherche dans leur travail clinique de routine dans les services de santé mentale pour enfants aux Royaume-Uni et dans quelle mesure les conceptions des cliniciens sur les concepts d’attachement concordent-elles ou non avec celles des chercheurs ?

Pour cela ils ont recruté un échantillon de 30 cliniciens en santé infantile (6 hommes et 24 femmes) au Royaume-Uni et 31 experts internationaux en recherche sur l’attachement (10 hommes et 21 femmes). Les cliniciens avaient entre 1 et 30 années d’expérience, et se composait de 10 psychologues cliniciens, 12 thérapeutes accrédités (7 thérapeutes systémiques, 1 art-thérapeute, 1 thérapeute cognitivo-comportemental, 1 thérapeute en counseling, 1 thérapeute par le jeu et 1 thérapeute intégratif), 3 infirmières praticiennes, 3 travailleurs sociaux, 1 praticien du bien-être et 1 ergothérapeute. Les chercheurs ont été recrutés pour leur expertise en théorie et recherche sur l’attachement et/ou en application de la théorie et recherche sur l’attachement dans la pratique clinique. Ils se composait de 26 chercheurs en développement et 5 psychologues sociaux. Les chercheurs étaient en grande partie formés à l’une ou l’autre des procédures de situation étrange (strange situation, la méthode expérimentale de M. Ainsworth) et AAI (adult attachment interview, de M. Main et al.) ou les 2 et 9 autres ont été formés pour fournir des interventions cliniques spécifiques à l’attachement fondées sur des données probantes.

Les résultats peuvent se diviser sous la forme de 3 facteurs  qui représentent les croyances des chercheurs et des cliniciens en matière de théorie de l’attachement, de résultats de recherche et d’utilisation dans la pratique clinique et qui a révélé trois modèles de croyance distincts :

-un chez les chercheurs (le facteur 2)

-deux chez les cliniciens (facteur 1 et 3).

Les modèles de croyance de la théorie de l’attachement et de sa recherche, des cliniciens étaient dépendants de leur cursus universitaire. Les cliniciens avec une une grande diversités de formations thérapeutiques accompagnée d’une grande expérience clinique prenaient davantage en compte le bon sens de la pratique et des connaissances personnelles. Les cliniciens avec une formation en psychologie du développement se référaient davantage aux connaissances empiriques et théoriques. Les différences les plus marquées entre les croyances des chercheurs et des cliniciens reposaient sur la sensibilité* en tant que cible d’intervention la plus efficaces pour les chercheurs et les effets de l’attachement précoce sur le développement du cerveau pour les cliniciens.

Perspective facteur 2

Il été défini par 17 participants qui se trouvent tous être chercheurs. Les chercheurs avaient un sens aigü de ce qui est important pour l’attachement pendant l’enfance : la cohérence des soins de bonne qualité tout au long de l’enfance et des niveaux élevés de sensibilité* maternelle. De plus, ils avaient une idée claire de la manière d’évaluer l’attachement dans la pratique clinique, c’est-à-dire en utilisant des mesures d’attachement validées et robustes, qui devraient inclure les séparations parent-enfant et l’entretien d’attachement adulte. Les chercheurs ne considéraient pas que les troubles de l’attachement étaient courants chez les enfants, ni que le développement d’un attachement sécurisé à un soignant maltraitant était une tâche impossible. Ils considéraient que les classifications de l’attachement étaient nécessaires mais peut-être insuffisantes pour identifier des plans de traitement appropriés, caractérisées par leur approbation de la notion plus vague selon laquelle les concepts d’attachement sont utiles pour acquérir une idée de la dynamique familiale. Ils ont exprimé leur ferme soutien à l’utilisation directe de mesures spécifiques d’évaluation de l’attachement dans les environnements de pratique.

Cependant, comparé aux groupes des cliniciens les chercheurs ont émis des réserves sur plusieurs points :

-quant à l’utilisation de la théorie de l’attachement pour un diagnostic différentiel.

-pour le fait de donner la priorité des interventions concernant l’insécurité de l’attachement afin de prévenir une pathologie ultérieure

-pour l’identification des problèmes comorbides de l’attention

de l’importance relative de la théorie de l’attachement pour le travail clinique par rapport à d’autres théories du développement de l’enfant.

Leur réserve portent également sur les capacités prédictives les modèles d’attachement de l’enfance sur les relations adolescentes ou adultes. En outre, ils ont fermement rejeté l’idée selon laquelle les modèles d’attachement sont en grande partie fixes et définitifs des relations ultérieures. Ils étaient également en désaccord avec la position selon laquelle le tempérament jouait probablement un rôle influent dans le développement de l’attachement infantile. Enfin, les chercheurs se sont distingués des cliniciens par leurs opinions tranchées sur le rôle et la nature de la classification de la désorganisation de l’attachement. Par exemple, ils étaient fortement en désaccord avec l’idée que l’attachement désorganisé puisse être utilisé pour identifier la maltraitance envers les enfants.

Perspective facteur 1

Le facteur 1 représente la manière de comprendre et percevoir les concepts et les méthodes de la théorie d’attachement par les psychologues du développement. Leur formation repose sur leur 1er apprentissage de la théorie de l’attachement par le biais de la psychologie du développement. Pour ces raisons Beckwith et al. (2022) nomme ce point de vue de perpesctive pragmatique et développementale sur les applications de la théorie et de la recherche sur l’attachement. Ce facteur 1 se caractérise par une forte approbation des thérapeutes aux modèles d’attachement offrant des informations sur la fonction du comportement de l’enfant mais également, par un fort rejet de l’idée que la théorie de l’attachement était un cadre inapplicable pour les parents et les enfants ayant des troubles des apprentissages. Leur vision partage certaines similitudes avec celles des chercheurs (facteur 2), notamment un fort rejet des modèles d’attachement comme étant fixes au fil du temps et l’idée que les enfants ayant un attachement insécurisé ne voulaient pas être proches de leur soignant lorsqu’ils étaient malades ou effrayés. Cependant contrairement aux chercheurs, ils étaient moins certains que des soins de bonne qualité soient un meilleur prédicteur de la santé mentale future que les modèles d’attachement précoces. Malgré l’utilité et la pertinence de l’échelle d’Ainsworth sur le concept de sensibilité* parentale, ces cliniciens considèrent la sensibilité* parentale comme moins importante que les chercheurs. Les cliniciens de ce facteur ne sont pas d’accords sur le fait que trop d’attention a été accordée à la théorie de l’attachement au détriment d’autres théories du développement de l’enfant, et même à l’inverse, ils considèrent que cette dernière n’a pas été suffisamment prise en compte dans les milieux cliniques.

Cependant les participants de ce facteur manifestaient une incertitude quant à savoir s’il fallait réellement utiliser certains aspects de la théorie et de la recherche pour la pratique appliquée, tels que les modèles de travail internes (MIO), l’entretien d’attachement adulte (AAI), les modèles d’attachement identifiés dans la planification du traitement et l’accent mis sur les interactions dyadiques.

«Dans l’ensemble, le facteur 1 exprimait le sentiment qu’il y avait effectivement des aspects utiles et valables à exploiter dans la théorie et la recherche sur l’attachement, mais les praticiens restaient typiquement incertains quant à l’utilisation de certains concepts et mesures, souvent en raison des contraintes réalistes que cela implique. Les caractéristiques démographiques relatives à ces types de praticiens ont révélé que la majorité des psychologues cliniciens échantillonnés approuvaient ce point de vue. Les participants adhérant à ce point de vue ont fait référence à leur premier apprentissage de la théorie de l’attachement par le biais de la psychologie du développement. Pour ces raisons, on pourrait qualifier ce point de vue de perspective pragmatique et développementale sur les applications de la théorie et de la recherche sur l’attachement » (Beckwith et al., 2022).

Perspective facteur 3

Le facteur 3 représente les perspectives des thérapeutes cliniciens (approche systémique et quelques cliniciens chercheurs) sur les concepts de la théorie de l’attachement. Ils se sont formés par lecture personnelle de littérature axée sur la clinique, le développement professionnel continu et la formation post-qualification dans des modalités spécifiques, plutôt qu’une formation professionnelle de base ou des textes traditionnels. Beckwith et al. (2022) nomme cette perspective : autodidacte et thérapeutique.

Ces perspectives sont caractérisées par un fort sentiment que l’insécurité d’attachement est une cause majeure de préoccupation, même s’ils ne considèrent pas que la classification de l’attachement désorganisé est la plus pertinente pour la santé mentale. Ils refusent l’utilisation d’un langage pathologisant en général de la théorie de l’attachement et dénigrent la terminologie de « trouble » ou de « désorganisation » de l’attachement. Ces participants étaient fortement convaincus que les services à l’enfance n’accordaient pas suffisamment d’attention à la théorie de l’attachement et ont exprimé une grande valeur à l’utilisation de mesures formelles d’évaluation de l’attachement dans leur travail. Leur incertitude se manifeste sur le fait de savoir si un enfant ayant un attachement insécure souhaitait être proche de sa figure d’attachement lorsqu’il était malade ou effrayé. Ils sont également convaincus que les idées de Bowlby n’étaient pas dépassées pour la pratique clinique mais sont incertains quant au fait que la qualité des soins soit un meilleur indicateur de la santé mentale future que les modèles d’attachement précoces.

« Dans l’ensemble, le facteur 3 a transmis une compréhension de l’attachement à travers une forte expression de la nature néfaste de l’insécurité de l’attachement et de la pertinence continue d’aborder ce problème de manière thérapeutique. Les participants ont souligné le rôle des représentations mentales, des modèles de travail internes et des expériences passées d’attachement, accordant une grande valeur à l’entretien d’attachement adulte. Contrairement aux deux autres facteurs, il y avait moins d’expression d’une compréhension de l’attachement au niveau des systèmes comportementaux et une perspective sensiblement différente sur les questions de désorganisation de l’attachement et de traumatisme infantile »(Beckwith et al., 2022).

Les principales similitudes et différences entre les perspectives

Beckwith et al. (2022) indiquent que les chercheurs étaient fortement en désaccord avec l’idée selon laquelle l’attachement désorganisé peut être utilisée pour identifier la maltraitance envers les enfants, mais également fortement en désaccord avec l’idée selon laquelle le traumatisme de l’enfance serait à l’origine de tous les cas de désorganisation de l’attachement.

Alors que les psychologues développementistes et thérapeutes cliniciens donnaient du crédit au rôle des expériences d’attachement précoce dans la détermination du développement cérébrale, les chercheurs attachementistes présentaient une incertitude importante quant à cette affirmation. De même les chercheurs étaient en désaccord avec l’idée que le tempérament de l’enfant influence fortement le type de modèle d’attachement formé

Les psychologues développentistes (facteur 2) ont indiqué une préférence particulière pour l’utilisation du lexique de la théorie de l’attachement et ont considéré qu’un niveau comportemental de compréhension des modèles d’attachement était particulièrement utile mais considèrent aussi que le système de classification représentait une simplification excessive.

Les thérapeutes cliniciens du facteur 3 considéraient les mesures d’attachement spécifiques très utiles, en particulier l’utilisation de l’AAI pour la pratique clinique de routine, de même que de cibler les MIO (modèles internes opérants).

Les chercheurs attachementistes (facteur 1) ne considèrent pas l’attachement insécure comme forcément problématique alors que les thérapeutes cliniciens considèrent l’inverse.

En bref, « les points d’accord ont généralement privilégié les aspects pratiques des services (par exemple, l’accessibilité et la pertinence des outils) et les principes théoriques généraux (par exemple, les modèles d’attachement sont malléables et de nature dyadique). L’un des points d’accord les plus nets était la perception plus sophistiquée concernant la nature de l’attachement : les participants perçoivent que les modèles d’attachement sont façonnés en réponse aux expériences de prestation de soins et s’adaptent à ces environnements. Notamment, les cliniciens et les chercheurs sont unis dans leur vision des interventions cliniques à adapter aux besoins des différentes classifications d’attachement et dans leur reconnaissance du manque de précision dans ce domaine  (…). Les différences d’opinion les plus frappantes concernaient les affirmations faites sur la désorganisation de l’attachement et le traumatisme. La perception selon laquelle les expériences traumatiques sous-tendent la désorganisation de l’attachement et l’utilisation de ce dernier comme substitut du premier ont été fortement rejetées par la communauté des chercheurs. En revanche, les cliniciens sur les deux facteurs ont exprimé un manque d’opinion tranchée sur l’identification de la maltraitance de cette manière. Il s’agit du domaine de divergence le plus important identifié (…). Les opinions des chercheurs et des cliniciens sur les implications des expériences d’attachement précoce sur le développement cérébral des enfants étaient également très différentes. Les cliniciens soutenaient fortement ces affirmations tandis que les chercheurs se distinguaient par leur réticence à tirer des conclusions dans un sens ou dans l’autre (…). Enfin, des divergences concernant les cibles thérapeutiques appropriées ont été identifiées. Les chercheurs étaient fortement en faveur de la sensibilité* maternelle comme cible la plus efficace pour les interventions basées sur l’attachement, alors que les cliniciens ne l’approuvaient pas. Sur la base d’une analyse de textes publiés, Duschinsky (2020) a conclu que, en dehors de la psychologie du développement, l’utilisation technique du concept de sensibilité* par Ainsworth est peu reconnue. Les connotations du langage ordinaire risquent de dépeindre les soins sensibles* comme un « extra » plutôt que comme un facteur déterminant reliant les soins au développement socio-émotionnel et à la santé mentale de l’enfant. Au lieu de la sensibilité*, les cliniciens s’alignant sur la perspective autodidacte et thérapeutique ont préféré cibler les modèles de fonctionnement internes des parents comme cible de traitement pour le bien-être de leurs enfants. Duschinsky (2020) indique qu’il s’agissait d’une position courante parmi les chercheurs sur l’attachement dans les années 1990 et qu’elle a ensuite été présente dans tous les livres axés sur la psychothérapie destinés aux cliniciens. » (Beckwith et al., 2022).

Existe-t-il différentes compréhensions théoriques de la théorie de l’attachement en circulation ?

Les thérapeutes cliniciens (facteur 3) rejettent fermement le lexique de « trouble de l’attachement » et « attachement désorganisé ». Ils se préoccupent fortement de l’insécurité d’attachement, à tel point que le désir des enfants ayant des attachements insécurisés de vouloir toujours être proche des personnes qui s’occupent d’eux lorsqu’ils sont malades ou effrayés est considérablement sous-estimé par rapport aux 2 autres perspectives (facteur 1 et 2) « Ce point de divergence indique que certains cliniciens n’ont pas la compréhension du système d’attachement au niveau des systèmes comportementaux qui a été exprimée par la majorité des participants à cette étude(…). Alors que les participants adhérant à la perspective pragmatique, développementale et incertaine étaient presque exclusivement des psychologues cliniciens, ce sont surtout les psychothérapeutes systémiques et autres qui ont adhéré à la perspective autodidacte et thérapeutique. Notamment, ce dernier facteur était constitué de participants ayant une expérience clinique significativement plus longue que le premier : 9 années supplémentaires en moyenne. Nous considérons que la littérature et l’enseignement spécifiques sur la théorie de l’attachement auxquels les professionnels sont exposés dans le cadre de leurs programmes de formation professionnelle diffèrent et peuvent influencer leurs perspectives ultérieures sur son application à la pratique. Leur formation et les types de défis rencontrés dans leur travail peuvent également influencer l’attrait relatif des travaux d’autres thérapeutes écrivant et offrant une formation commerciale sur les implications psychothérapeutiques de l’attachement» (Beckwith et al., 2022).

Pour Beckwith et al. (2022), l’intérêt des thérapeutes pour l’insécurité de l’attachement dans la perspective autodidacte et thérapeutique serait la résultante des formations post qualification (et hors cursus universitaire) qui proposent des ouvrages mettant l’accent sur les problèmes associés à l’insécurité d’attachement.

Forces et limites de cette recherche

C’est la 1ere étude à examiner de manière empirique les points de vue des cliniciens et des chercheurs sur les connaissances en matière d’attachement dans la pratique clinique appliquée. Cependant elle présente certaines limites telles que l’échantillonnage limité et ciblé présent. Les chercheurs par exemple sont connus pour étudier l’attachement dans la pratique clinique et sociale, avec des liens plus étroits avec des psychologues du développement que sociaux. Les 2 courants ont des approches différentes sur la théorie de l’attachement.

Beckwith et al. (2022) rappellent les éléments de la déclaration de consensus (7) sur la théorie de l’attachement :

«Les schémas d’attachement représentent la meilleure tentative d’adaptation d’un enfant à son environnement – ils décrivent un élément important de la relation qu’un nourrisson entretient avec son soignant. Il s’agit d’un cadre très important pour réfléchir aux enfants pris en charge et pour prendre des décisions concernant le placement en famille d’accueil et l’adoption. Idéalement, nous devrions adapter les interventions cliniques aux besoins individuels des enfants ayant différents schémas d’attachement et offrir des soins personnalisés. À l’heure actuelle, ce niveau de précision n’est pas suffisamment utilisé. L’une des raisons en est que les outils d’évaluation de l’attachement ne sont pas facilement accessibles aux cliniciens. La situation est également compliquée par le fait de savoir que les enfants présentent différents schémas d’attachement avec différents soignants (…). Certains éléments de la théorie de l’attachement sont encore mal compris. Par exemple, nous ne savons pas si les évaluations de l’attachement se concentrent sur l’endroit où les enfants dirigent leur attention et quelles sont les implications de cette approche pour l’interprétation des symptômes concomitants du TDAH. Nous ne savons pas dans quelle mesure les schémas d’attachement des enfants peuvent être prédits à partir de la connaissance des schémas d’attachement de leurs parents. Nous ne savons pas non plus dans quelle mesure les troubles de l’attachement peuvent être traités par des interventions cliniques ou si ce cadre est plus utile pour des considérations non diagnostiques. Enfin, nous ne savons pas si les traits insensibles et dénués d’émotion chez les enfants proviennent de leurs premières expériences d’attachement ».

*la sensibilité ici renvoie à la définition de M. Ainsworth, qui reflète la capacité de la figure d’attachement de lire et répondre de manière adaptée et cohérente aux signaux émis par l’enfant.

Sources :

(1) Beckwith, H. (2022). Membre de l’académie d’Oxford – site internet. Experimental psychology. https://www.psy.ox.ac.uk/people/helen-beckwith

(2) Van Ijzendoorn, M. (2024). CV – Site internet. Marinus Van Ijzendoorn. https://www.marinusvanijzendoorn.nl/c-v/

(3) Freeston, M. (2024). Membre de l’Université de Newcastle – site internet. Newcastle University. https://www.ncl.ac.uk/psychology/people/profile/markfreeston.html

(4) Woolgar, M. (2024). CV – site internet. Matt Woolgar. https://www.mattwoolgar.com/c-v

(5) Stenner, P. (2024). Membre de The Open University – site internet. The Open University. https://www.open.ac.uk/people/ps7476

(6) Duschinsky, R. (2024). Profil – Site internet. University of Cambridge. https://research.sociology.cam.ac.uk/profile/dr-robbie-duschinsky

(7) Forslund, T., Granqvist, P., van IJzendoorn, MH, Sagi-Schwartz, A., Glaser, D., Steele, M., … Duschinsky, R. (2021). L’attachement va au tribunal : questions de protection et de garde de l’enfance. Attachment & Human Development , 24 (1), 1–52. https://doi.org/10.1080/14616734.2020.1840762

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