
#Article 1.7. Modèles de problèmes de santé mentale (2023)
Temps de lecture estimé: 40 minutes
Richter, D., & Dixon, J. (2023). Models of mental health problems: a quasi-systematic review of theoretical approaches. Journal of mental health (Abingdon, England), 32(2), 396–406. https://doi.org/10.1080/09638237.2021.2022638
Les concepts de santé mentale et de maladie mentale sont controversés et englobent des domaines différents allant de la biologie, la psychiatrie en passant par la psychologie, la sociologie, la philosophie et évidemment le point de vue des patients, les principaux concernés. Ces domaines ont amené des modèles qui diffèrent et qui reposent sur des théories souvent opposées. Richter et Dixon (2023) ont voulu faire un état des lieux de ces différents modèles et les regrouper dans une étude. Ne sera abordé dans cet article que les grandes lignes de l’article, certains passages ne sont même pas cités ni même relevés. Je vous renvoie à la lecture de ce dernier afin d’avoir une vue d’ensemble et précise du propos des chercheurs.
Dirk Richter est un sociologue suisse et chercheur. Il s’intéresse particulièrement à la réhabilitation psychiatrique, l’épidémiologie, l’épistémologie des problèmes de santé mentale, l’agression et le traitement obligatoire dans les soins de santé (1)
Jérémy Dixon est maître de conférence en travail social au centre de recherche sur les soins aux adultes de l’Université de Cardiff. Son travail s’appuie sur la sociologie de la santé mentale et de la maladie, sur la sociologie du risque et de l’incertitude et se concentre sur les points de vue des personnes souffrant de problème de santé mentale sur leurs propres soins de santé mentale, sur les points de vue des soignants sur les soins de santé mentale, sur la manière dont les professionnels interprètent la loi et la politique sur la santé mentale, les soins de fin de vie et la protection des adultes (2).
Les concepts de santé mentale et de maladie mentale sont contestés depuis des décennies (Richter & Dixon, 2024). Des chercheurs en psychiatrie, en psychologie, en biologie, en neurologie, en philosophie, en sociologie et en histoire de la médecine ont cherché à savoir quelles sont les causes des problèmes de santé mentale, la manière de classer les problématiques et de les opérationnaliser.
Sommaire
Introduction
Méthodologie de recherche
Les différents modèles de problèmes de santé mentale
Discussion
Points forts de l’étude
Limites de l’étude
Conclusion
Introduction
Les théories psychanalytiques et sociales étaient prévalentes dans les années 1940 et 1970. Durant les années 1980 et 1990 les modèles biomédicaux ont émergé, modèles ayant eu un impact majeure sur la recherche et les traitements proposés concernant la santé mentale (Richter & Dixon, 2024). La psychiatrie a rejoint le courant médical dominant dans les années 2000 selon les auteurs, et les controverses quant à la manière dont les problèmes de santé mentale doivent être comprises se sont amplifiées. Au moment de la publication de la 5eme édition du DSM (APA, 2013) de nombreux chercheurs ont indiqué que des questions conceptuelles fondamentales sur la nature des troubles psychologiques n’étaient toujours pas résolues (Richter & Dixon, 2023).
Les principales critiques relatives au concept de trouble psychiatrique étaient formulées par des psychiatres, des sociologues et des philosophes, qui remettaient en question la validité des catégories psychiatriques et la légitimité du pouvoir en psychiatrie. Mais selon Richter et Dixon (2023), des contestations sont apparues au sein de la communauté biomédicale également.
Les auteurs poursuivent en indiquant que les principaux domaines dans lesquels des divergences théoriques et empiriques sont apparues sont les dimensions par rapport aux catégories de symptômes, les seuils entre santé et trouble, l’étiologie (les causes) des troubles mentaux et la comorbidité de troubles distincts. Mais ils indiquent que de nouveaux débats émergent sur la manière dont les problèmes de santé mentale doivent être classés, « de nouvelles recherches psychopathologiques axées sur la comorbidité suggèrent qu’il existe probablement une à dix dimensions de la psychopathologie, plutôt que plusieurs centaines de troubles distincts » (Richter et Dixon, 2023).
Il existe des divergences de point de vue sur des questions telles que « qu’est-ce qu’un problème de santé mentale » ou « qu’est-ce qu’un trouble psychiatrique ». Cette variété des modèles de trouble a conduit à des tensions entre les professions au sein des systèmes de soins de santé (Richter & Dixon, 2023). « Les désaccords sur la nature des problèmes de santé mentale peuvent également conduire à des différends sur la façon dont les comportements, tels que l’agression, sont interprétés par les usagers et le personnel » (Nolan et al., 2009 cité dans Richter et Dixon, 2023). Les définitions des problèmes de santé mentale ont également des implications juridiques et politiques car elles doivent déterminer si les problèmes de santé mentale sont en augmentation et s’il convient de dépenser de l’argent dans la prévention (Richter et Dixon, 2023).
Les auteurs constatent que les publications sur les modèles de santé mentale sont en forte augmentation, et de nouvelles communautés et sous-communautés qui en débattent apparaissent. De fait ils ont jugé nécessaire de passer en revue les approches récentes afin d’avoir une vue d’ensemble de ce qui est proposé et discuté quant à la question de santé mentale. A cette fin ils ont mené une revue quasi systématique fournissant une vue d’ensemble des modèles de problèmes de santé mentale, qu’ils proviennent de la communauté scientifique mais également de groupes traditionnellement négligés (ils citent pour exemple les publications d’utilisateurs de services, faisant référence aux personnes concernées par les problématiques de santé mentale). Dans cette étude Richter et Dixon (2023) définissent les « modèles » « comme des approches visant à expliquer et/ou à décrire les problèmes de santé mentale en général ou un problème de santé mentale particulier d’un certain point de vue ».
Richter et Dixon (2023) poursuivent en indiquant que l’inclusion des perspectives des personnes concernées a été négligée pour 2 raisons :
-ces perspectives sont très pertinentes concernant le sujet de la santé mentale, en particulier dans les domaines du droit et de la politique.
-les approches fondées sur la science sont fréquemment remises en questions par des positions non académiques (les utilisateurs de service, à savoir les patients par exemple) car les perspectives des personnes concernées par les problématiques de santé mentale, ou même les survivants ne sont souvent pas suffisamment représentées dans le discours, un problème communément appelé « injustice épistémique ».
« Le langage utilisé pour décrire les problèmes de santé mentale varie considérablement d’une publication à l’autre. Alors que les concepts de maladie mentale et de trouble mental restent dominants dans la littérature, de nombreux chercheurs remettent entièrement en question le concept de maladie mentale » (Richter et Dixon, 2023).
Méthodologies de recherches
Les chercheurs ont adopté une approche quasi systématique d’analyse de la littérature. Cela signifie qu’ils ont utilisé une recherche systématique et une stratégie d’extraction des données (sur pubmed, psycinfo et Cumulative Index for Nursing and Allied Health Literature, livres sur Amazon et publications non répertoriées dans les bases de données citées précédemment), conformément à la procédure PRISMA (normes regroupant un ensemble d’outils visant à aider les chercheur.e.s lorsqu’ils réalisent des méta-analyses ou des revues systématiques) mais ils n’ont pas pu évaluer les biais. Leur objectif n’étant pas d’évaluer la rigueur théorique et scientifique des études mais plutôt intéressés par faire un état des lieux de la diversités des modèles théoriques existants. Ils indiquent qu’il existe de fait un risque de ne pas avoir trouvé et intégré toutes les publications pertinentes sur ce thème.
Ils ont voulu identifier tous les modèles de problèmes de santé mentale publiés, y compris les documents rédigés par des cliniciens, des patients ou des survivants. Ils ont accepté les articles évalués par les pairs dans les revues universitaires (fonctionnement classique d’une méthodologie de recherche) mais également les éditoriaux, les lettres, les livres, les chapitres de livres et les documents en ligne. « Ces formats ont été acceptés parce qu’il s’agit de lieux où les modèles de santé mentale sont fréquemment proposés et débattus. Tous les articles rédigés en anglais, en allemand, en français ou en néerlandais à partir de 2000 ont été retenus. La recherche s’est terminée le 30 juin 2020 » (Richter et Dixon, 2023).
Ils ont exclu des données les études qui cherchaient à tester l’efficacité des différents courants psychothérapeutiques ainsi que les articles philosophiques qui n’avaient pas de lien avec les questions de santé mentale et les publications antérieures à 2000. Ils ont ainsi identifié 3423 publications à partir de bases de données et 110 publications ont finalement été incluses (68 articles, 7 livres, 33 chapitres de livres et 2 éditoriaux dans des revues scientifiques). Ils ont finalement identifié 34 modèles différents de problème de santé mentale qu’ils ont présenté sous la forme d’un graphique.
Les différents modèles de problèmes de santé mentale
Ce schéma permet de relier chaque modèle à 5 catégories : biologie, psychologie, social, patient (consommateur) et culture :
-les modèles relevant de la catégorie de la biologie (biologie, neurosciences/neurobiologie, neurosciences computationnelles, microbiote intestinal et la théorie des systèmes/chaos). Les auteurs de ce modèle soutiennent une approche biologique et indiquent qu’il n’existe toujours pas de classification des problèmes de santé mentale basée sur le cerveau. Les développements dans ce domaine apporteraientt une plus grande précision à la psychiatrie. Les articles spécialisés sur les neurosciences ou la neurobiologie plaident en faveur d’une étude du système nerveux axé principalement sur le cerveau.
-les modèles relevant de la catégorie de la psychologie intègrent la salutogénèse (approche se concentrant sur les facteurs favorisant la santé et le bien-être plutôt que d’étudier les causes des maladies), la psychologie cognitive (importance des processus mentaux internes pour comprendre les problèmes de santé mentale), la psychanalyse (les modèles psychanalytiques s’inspirent des théories de Freud et de ses disciples, les auteurs soutenant que ces théories devraient être utilisées en conjonction avec les théories psychopathologiques), la psychologie des réseaux (explique les problèmes de santé mentale en cartographiant l’interaction des symptômes psychologiques. Les auteurs qui proposent cette approche critiquent les modèles axés sur la biologie et plaident en faveur d’un autre cadre d’analyse dans lequel les problèmes de santé mentale sont considérés comme résultant de l’interaction causale entre les symptômes) et l’essentialisme (est une approche philosophique qui postule que le monde n’a pas de signification objective ou dérivée de l’extérieur et que chaque individu est responsable de ses propres actions).
–les modèles de la catégorie sociale comprenant les modèles de handicap social (mettent en évidence les contraintes invalidantes d’origine sociale imposées aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Les auteurs qui utilisent ce modèle ont soutenu que la détresse mentale est une réponse socialement située aux circonstances sociales) et les modèles réalistes critiques (proposent l’existence d’une réalité qui est ontologiquement séparée des problèmes de santé mentale vécus. Les auteurs qui s’inspirent de ce modèle proposent d’abandonner les modèles de diagnostic et de mettre en place de nouveaux systèmes axés sur les « plaintes » des patients d’une manière qui reconnaisse leurs antécédents psychologiques).
–les modèles de la catégorie des patients (consommateurs) reflétant les expériences des personnes qui ont été traitées par les services de santé mentale. « Il s’agit des modèles de rétablissement, des études sur les fols/ modèles de neurodiversité et des études sur les usagers/survivants. Les modèles de rétablissement visent à donner aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale les moyens de définir ce que le rétablissement signifie pour elles, afin qu’elles puissent mener une vie digne de ce nom. Les auteurs qui ont écrit sur ce modèle ont proposé qu’il soit orienté vers le consommateur ou redéfini par rapport à des groupes spécifiques, tels que les jeunes adultes. Les Mad studies/neurodiversité se réfèrent à des approches qui proposent des concepts normalisants de la santé mentale et rejettent les explications de la maladie. Par exemple, ceux qui adoptent une approche de neurodiversité soutiennent qu’il n’y a pas une seule façon d’être normal et que la variation biologique est intrinsèque à l’identité. Les études sur les usagers/survivants se réfèrent à des modèles qui mettent l’accent sur la centralité des expériences des personnes souffrant de problèmes de santé mentale, généralement de manière critique pour la psychiatrie et parfois pour la psychologie. Ceux qui adoptent cette approche soutiennent que la psychiatrie est un « projet moderniste » qui vise à séparer la compréhension technologique de la compréhension conceptuelle de la santé mentale, privilégiant à tort le médecin « expert » » (Richter et Dixon, 2023).
–les modèles de la catégorie culturelle couvrant des compréhensions culturelles, traditionnelles ou spirituelles ou spécifiques de ce que la psychiatrie qualifie de maladie. « Il s’agit de modèles spirituels et traditionnels/spirituels. Ceux qui prônent un modèle spirituel le font en intégrant la psychanalyse aux principes spirituels. Ceux qui adoptent une approche traditionnelle/spirituelle adoptent à la fois des perspectives traditionnelles et spirituelles, par exemple en soutenant que la psychiatrie indienne devrait intégrer les concepts de l’esprit de l’hindouisme, des traditions indiennes et des systèmes de médecine indiens » (Richter et Dixon, 2023).
Richter et Dixon (2023) ont également indiqué 3 ensembles de modèles se situant entre les 5 catégories décrites :
–la biopsychologie comprenant la biopsychologie de réseau (« approche conjointe des réseaux et de la biopsychologie. Les auteurs qui proposent une telle approche ont fait valoir que l’étude des problèmes de santé mentale peut être mieux comprise grâce à une perspective de réseau neurocognitif (axée sur la distribution et les connexions des neurones dans le système nerveux central) » (Richter et Dixon, 2023)), la neuropsychologie (« approche conjointe neurologique et psychologique pour comprendre les problèmes de santé mentale. Par exemple, des auteurs ont proposé une fusion des neurosciences et de la psychothérapie » (Richter et Dixon, 2023)), la génétique évolutive (« approche conjointe axée sur l’interaction entre les mécanismes génétiques et évolutifs supposés conduire à des problèmes de santé mentale. Les auteurs qui adoptent ce modèle proposent que les interactions gène-environnement et les variantes génétiques rares constituent la majeure partie de la contribution génétique aux problèmes de santé mentale » (Richter et Dixon, 2023)), l’évolutionnisme/darwinisme (s’intéressent également aux problèmes de santé mentale dans le contexte de la théorie de l’évolution, mais mettent moins l’accent sur la génétique) et la neurophénoménologie (approche à la fois neurologique et psychologique pour comprendre les problèmes de santé mentale).
–les modèles psychosociaux « se situent entre les catégories psychologiques et sociales, en s’appuyant sur des éléments de chacune d’entre elles. Les auteurs qui adoptent cette approche ont souligné que les problèmes de santé mentale sont influencés par la vie quotidienne et les circonstances sociales d’une personne (plutôt que par la maladie) » (Richter et Dixon, 2023).
–les approches radicales et l’antipsychiatrie se situent entre les catégories sociales et les catégories des patients (consommateurs), « les approches radicales et l’antipsychiatrie se situent entre les catégories sociales et les catégories de consommateurs. Les auteurs qui adoptent une approche radicale insistent sur la nécessité de libérer les personnes souffrant de problèmes de santé mentale des paradigmes existants, certains d’entre eux identifiant des étapes pour la création d’une « psychiatrie démocratique ». L’antipsychiatrie est une approche critique qui remet en question l’existence de la maladie mentale. Par exemple, Burstow soutient qu’il faut résister à la psychiatrie, en identifiant les moyens par lesquels les membres du mouvement antipsychiatrique et du mouvement des usagers pourraient s’unir dans cette tâche » (Richter et Dixon, 2023).
D’autres modèles encore s’inspirent de ces catégories de manière moins linéaires. Les auteurs citent :
-l’ethnopsychologie « se réfère à une compréhension des problèmes de santé mentale qui s’appuie sur la culture de communautés ethniques particulières et s’inspire de modèles psychologiques et culturels. Les auteurs qui adoptent cette perspective proposent un concept de problèmes de santé mentale fondé sur des facteurs interculturels et psychologiques ».
–les modèles de grappes de propriétés sont une approche qui propose que des réseaux de grappes mécanistes soient à l’origine des problèmes de santé mentale. « Par exemple, Kendler et al. (2011) soutiennent que ce modèle est la meilleure façon de comprendre les problèmes de santé mentale car il reconnaît que ces derniers sont multifactoriels ou « flous » ».
–le cadre pouvoir-menace-sens est un modèle « est un modèle qui considère les problèmes de santé mentale comme une réponse protectrice compréhensible à des environnements défavorables. Bien que les auteurs reconnaissent que la biologie joue un certain rôle dans les problèmes de santé mentale, le modèle s’inspire principalement de la psychologie et des modèles sociaux »
–les modèles biopsychosociaux/médicaux et les modèles biopsychosociaux développementaux « contiennent tous deux des éléments de biologie, de psychologie et de sociologie. Bien que le fait de regrouper les modèles biopsychosociaux et médicaux dans la même catégorie semble contre-intuitif, nous le faisons parce que les facteurs psychologiques et sociaux ont été considérés par certains comme nécessaires à une bonne compréhension « médicale » des problèmes de santé mentale ». Les modèles développementaux-biopsychosociaux s’inspirent également des approches biopsychosociales mais se concentrent spécifiquement sur les questions de développement.
Discussion
Grâce à leur revue quasi systématique Richter et Dixon (2023) ont permis pour la 1ere fois d’obtenir un état des lieux des différents modèles de problèmes de santé mentale. Modèles visant à décrire, comprendre ou analyser les problèmes de santé mentale. Ils ont identifié des comptes rendus issus des sciences naturelles, des sciences sociales, des utilisateurs de service et des activistes ainsi que ceux défendant une approche traditionnelle ou spirituelle/culturelle. « Nous avons trouvé un mélange de modèles plus anciens développés il y a plusieurs décennies, qui continuent d’être discutés et approuvés (par exemple, la psychanalyse, l’antipsychiatrie) et de modèles plus récents (par exemple, les approches en réseau, les neurosciences computationnelles). D’un point de vue historique, il est clair que les nouveaux modèles n’ont pas entièrement remplacé les anciens, mais qu’ils les complètent souvent » (Richter et Dixon, 2023).
Points forts de l’étude
Les auteurs relèvent plusieurs résultats significatifs. En effet « les modèles proposés, approuvés ou critiqués poursuivent différents objectifs. Alors que les modèles promouvant une approche biologique ou psychologique ont des objectifs scientifiques et/ou cliniques, les modèles psychosociaux proposent souvent des solutions politiques et/ou juridiques. Il est à noter que peu d’approches englobent les deux domaines, c’est-à-dire les préoccupations cliniques et de justice sociale. Le « Power-Threat-Meaning Framework » élaboré par la British Psychological Society, qui s’inspire des concepts sociologiques du pouvoir et des concepts psychologiques du traumatisme, constitue une exception à cette règle » (Richter et Dixon, 2023).
Les discussions sur la manière la plus appropriée de définir les problèmes de santé mentale ne sont pas nouvelles rappellent Richter et Dixon (2023), cependant il semble que ces compréhensions se soient diversifiées au cours des dernières décennies et que les définitions sont également de plus en plus contestées. De nombreuses publications plaidant en faveur d’une perspective plutôt qu’une autre (par exemple les approches psychosociales par rapport aux modèles biomédicaux ou inversement).
« À cet égard, nous n’avons pas pu identifier de critères permettant de hiérarchiser les approches. En tant que tel, notre examen reflète des examens non systématiques antérieurs, tant en psychiatrie que dans d’autres domaines (par exemple, la philosophie). Par exemple, un précédent aperçu des approches psychiatriques visant à développer une taxonomie conceptuelle a conclu que les chercheurs devraient choisir entre les approches, en s’appuyant sur le « jugement » et les données empiriques. Adoptant une perspective philosophique large, une autre étude a posé la question de savoir si c’est la science ou la société qui gagnera le « bras de fer » sur la définition des problèmes de santé mentale » (Richter et Dixon, 2023).
Les auteurs proposent des explications sur les raisons de l’augmentation des modèles de problèmes de santé mentale. La 1ere raison qu’ils émettent est ce qu’ils appellent « le processus de spécialisation inhérent à la science » illustré selon eux par le large éventail d’approches biomédicales présent dans l’étude. Une 2eme raison pourrait être l’insatisfaction suscitée par les approches conventionnelles de classification clinique (comme le DSM qui est de plus en plus contesté par les chercheurs, les utilisateurs de services et les cliniciens). Pour finir les auteurs suggèrent que les problèmes de santé mentale ne sont plus réservés exclusivement à la psychiatrie ou la psychologie. Les professions non médicales telles que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale, les infirmières, les travailleurs sociaux et les décideurs politiques reçoivent de plus en plus d’attention.
Richter et Dixon (2023) poursuivent en indiquant que les arguments contemporains des problèmes de santé mentale ont eu tendance à se concentrer sur les tensions qu’il peut y avoir entre des positions théoriques et expériences opposées, à savoir le modèle biomédical ou les perspectives critiques proposées par les usagers/survivants/critique psychiatrique. Le modèle biopsychosocial a été utilisé pour maintenir les perspectives divergentes des différents modèles ensemble mais ce consensus semble se fracturer selon Richter et Dixon (2023). Il y aurait 3 raisons argumentent les auteurs :
-la confiance accrue des partisans des approches biologiques « (peut-être axée sur le soutien des décideurs politiques à la suite de la « décennie du cerveau »).
-l’insatisfaction du niveau théorique du modèle dans lequel est inclus des approches différentes pouvant être parfois opposées.
-l’insatisfaction des représentants psychosociaux ayant observé que « l’approche biio-psycho-social a masqué une approche « bio-bio-bio » des problèmes de santé mentale dans la pratique quotidienne des soins de santé » (Read 2005, cité par Richter et Dixon, 2023).
Lors de leur comparaison des groupes de modèles, Richter et Dixon (2023) ont remarqué que même si toutes les publications intégrées dans leur étude abordaient toutes la question des problèmes de santé mentale, les partisans de chaque modèle s’avèrent être en désaccord les uns avec les autres sur de nombreuses questions. C’est uniquement lorsque les auteurs critiquent d’autres modèles ou approches qu’ils détaillent leur désaccord et « les auteurs de chaque modèle prennent pour acquis des hypothèses de base différentes ».
4 points essentiels de désaccords selon Richter et Dixon (2023) :
-la plupart des approches biomédicales ne remettent pas en question le concept de maladie de la psychiatrie alors que les concepts de maladie sont régulièrement remis en question par les auteurs des approches sociales. Ces derniers considérant les structures économiques et de pouvoir comme affectant la manière dont les problèmes sont envisagés. « Il existe également un désaccord sur la question de savoir si les caractéristiques des troubles de la santé mentale doivent être considérées comme des symptômes de problèmes de santé mentale ou plutôt comme des phénomènes mentaux (normaux). Cette différence est particulièrement marquée dans l’approche de la neurodiversité. Alors que les modèles biomédicaux de l’autisme considèrent la variation évidente des caractéristiques mentales comme des symptômes, les activistes et les chercheurs à orientation sociale ou politique réfutent l’étiquette de trouble et soulignent la nécessité de prendre en compte l’environnement social des personnes affectées » (Richter et Dixon, 2023).
-des désaccords sont encore présents sur la manière de tracer la délimitation entre la santé mentale et la maladie/trouble, et le moment à partir de un trouble devient pathologique.
-la cause des problèmes de santé mentale continue d’être contestée. « Les chercheurs orientés vers la biomédecine ne doutent généralement pas que les problèmes de santé mentale découlent de la constitution génétique ou neurobiologique d’un individu. Bien qu’ils considèrent les facteurs sociaux comme pertinents, ils sont considérés comme l’une des nombreuses causes pouvant contribuer à un problème de santé mentale. En revanche, les partisans des modèles sociaux soulignent que les facteurs sociétaux, tels que les déséquilibres de pouvoir et l’injustice, sont les plus importants ou affirment que les facteurs sociaux et environnementaux peuvent empêcher une personne de jouir de ses droits et de ses capacités » (Richter et Dixon, 2023).
– « La question de la perspective à la première ou à la troisième personne est importante. Les approches biomédicales ou psychologiques utilisent généralement le point de vue de la troisième personne des chercheurs pour décrire les problèmes de santé mentale. En revanche, les modèles plus axés sur la société soulignent la pertinence du point de vue de la première personne. C’est la raison pour laquelle nous avons inclus des publications non universitaires dans notre étude, car elles représentent plus souvent des comptes rendus à la première personne. La recherche menée par les utilisateurs est, de notre point de vue, de la plus haute importance dans ce domaine de recherche » (Richter et Dixon, 2023). Autrement dit, pour Richter et Dixon il est primordial d’intégrer dans l’étude de ces problématiques le point de vue des personnes directement concernées (patients, survivants).
Richter et Dixon (2023) précisent l’émergence de modèles tentant de rassembler des éléments spécifiques de modèles plutôt que de combler les écarts, à savoir de nouveaux modèles bio-psycho ou psycho-sociaux plutôt que de nouveaux modèles bio-psycho-sociaux. Les résultats de leur étude mettent également en avant le développement des approches psychologiques. Les modèles anciens (psychanalyse et phénoménologique) continuent d’être pris en compte mais les catégoriques psychologiques et biopsychologiques sont en nettes augmentation. Ajouté à cela le fait que les utilisateurs des services (patients, survivants) se font de plus en plus entendre et voit l’émergence de modèles incluant leur perspective plutôt que celle des cliniciens «les concepts de problèmes de santé mentale ne peuvent pas être développés exclusivement dans les communautés médicales ou de soins de santé. Ce qui est considéré comme un problème de santé mentale n’est pas une question de bien ou de mal, mais plutôt une question d’acceptation dans les communautés qui sont affectées par les questions et les décisions basées sur ces concepts » (Richter et Dixon, 2023).
Limites de l’étude
Richter et Dixon (2023) précisent les limites de leur étude : tout d’abord, ce n’est pas une revue systématique mais quasi systématique. Plusieurs livres et chapitres de libres qui ont été inclus n’étaient pas répertoriés dans les bases de données et ont été identifiés par une recherche manuelle. Certains publications doivent ainsi manqué (surtout dans le domaine des sciences sociales). Ils indiquent également que le domaine étant en évolution constante de nouvelles approches enrichiront dans le futur les discussions. De plus seuls les articles rédigés en anglais, en allemand, en néerlandais et en français ont été intégrés. Le regroupement des modèles (biologiques, psychologiques, sociaux de consommation et culturels) ont été décidés de manière subjective par les auteurs de l’étude.
Conclusion
Richter et Dixon (2023) concluent en indiquant que les incertitudes autour des questions de problèmes de santé mentale se sont accentuées au cours des dernières décennies. Leur étude n’a pas permis de déceler une approche susceptible de base à un consensus dans le domaine universitaire parmi les professions cliniques ou entre les différents acteurs (cliniciens, chercheurs et patients/survivants). Selon eux ils seraient nécessaire de commencer par enfin reconnaître que certains modèles ne peuvent pas être comparés, car les théories abordent des questions différentes qui ne se recoupent souvent pas
« Dans le domaine des soins de santé mentale et de la psychiatrie, nous devons reconnaître que les problèmes de santé mentale ne peuvent pas être expliqués par une seule approche ; une position appelée « pluralisme épistémique » dans le domaine de la philosophie » (Richter et Dixon, 2023).
Ils proposent également une 2eme option qui consiste à développer une méta-théorie (une théorie sur les théories) plutôt que d’essayer d’intégrer différentes approches dans une approche holistique (comme avec l’approche biopsychosociale). Une telle méta-théorie viserait à déclencher de nouvelles recherches théoriques et méthodologiques (par exemple, arriver à une terminologie des problèmes de santé mentale plus largement acceptée que les terminologies actuelles (DSM, CIM).
Sur le plan clinique, les auteurs indiquent que cela conduit à un modèle de service basé sur l’acceptation de la diversité des perspectives, « une approche plus récente de la sociologie de la santé et de la maladie fait référence à la « polycontextualité », ce qui signifie qu’une multitude de contextes et de systèmes de valeurs doivent être pris en compte simultanément, en particulier dans les environnements de soins de santé » (Richter et Dixon, 2023).
Richter et Dixon (2023) finissent par indiquer que les discussions sur les modèles de problème de santé mentale doivent être davantage alimentées par les professions non médicales et les utilisateurs de service (patients/survivants), « actuellement, la diversité des perspectives dans et autour des environnements cliniques n’est pas suffisamment reflétée dans la littérature. C’est regrettable car les discussions académiques sur ces questions se développent et sont menées par des communautés scientifiques de plus en plus spécialisées »
Sources
1. Dirk Richter (2024). BernerFachhochschule. https://www.bfh.ch/de/ueber-die-bfh/personen/bbnczalphux2/
2. Jeremy Dixon (2024). CardiffUniversity. https://profiles.cardiff.ac.uk/staff/dixonj7