La minute psy

#Episode 1. Vous avez dit « hypersensible » ?

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Un concept populaire très médiatique est mis avec force et vigueur sur le devant de la scène médiatique et des réseaux sociaux, il s’agit de l' »hypersensibilité ». A moins de vivre au fin fond du Larzac, sans connexion internet, vous avez été au moins exposé.e.s une fois à ce terme. Vous pouvez d’ailleurs le retrouver sous le nom de « haute sensibilité », « ultra sensibilité », « haut potentiel sensible », « grande sensibilité », cependant ces termes n’apparaissent pas tels quels au sein de la recherche scientifique. Derrière ces qualificatifs vous allez découvrir que cette théorie « d’hypersensibilité » fait partie d’un ensemble plus vaste, grand et avancé de recherches, la sensibilité environnementale (cad la capacité des personnes à percevoir, traiter et réagir à des informations de leur environnement). Mon but n’est pas d’émettre un jugement sur la pertinence de ce champs de recherche, je ne suis pas spécialiste de la question mais essayer surtout de mettre en avant le décalage important existant (et les autres pistes d’explorations possibles également) entre l’état de la littérature scientifique sur les connaissances que nous avons à ce jour de l' »hypersensibilité » et le discours véhiculé par les professionnels (et moins professionnels) vendant à toutes les sauces et sous différents formats des présupposés et une vulgarisation, souvent complètement éloignés des avancées de la recherche, voire comme étant parfois de parfaites extrapolations.

Au sein de la recherche scientifique le concept populaire d »hypersensibilité » apparaît sous le terme de Sensory Processing Sensitivity (S.P.S.), que nous pouvons traduire par « traitement sensoriel de la sensibilité ». Afin d’éviter une répétition laborieuse, pour parler d' »hypersensibilité » de Aron, l’abréviation SPS sera employée tout au long des prochains billets.

Plan

La sensibilité environnementale

Le modèle diathèse-stress

La susceptibilité différentielle

Le SPS

La sensibilité biologique au contexte

La sensibilité à l’avantage

Pour résumer les différents modèles de différences individuelles de sensibilité environnementale

La sensibilité environnementale et les troubles internalisés

La vulgarisation conséquente et problématique de la sensibilité environnementale

Conclusion

1. La sensibilité environnementale 

« Le développement humain est fondamentalement contextuel. Sans le soutien spécifique et actif d’un environnement stimulant, aucun enfant ne s’épanouirait ni même ne survivrait. Compte tenu de cette dépendance vis-à-vis des ressources environnementales externes, il n’est pas surprenant que les humains enregistrent, traitent et réagissent à de nombreux aspects différents de leur environnement social et physique. Cependant, les individus diffèrent considérablement dans une telle sensibilité et réactivité, certains étant plus et d’autres moins sensibles aux mêmes conditions environnementales » (Pluess, 2015).

Depuis la fin des années 90, plusieurs courants théoriques développés indépendamment les uns des autres ont étudié les différences individuelles de sensibilité aux environnements. Le SPS fait parti d’un cadre plus large appelé la sensibilité environnementale. Cette sensibilité environnementale impliquerait l’existence de différences individuelles dans la réponse comportementale aux facteurs environnementaux. Ces différents concepts fourniraient des informations théoriques différentes sur la variabilité de la sensibilité environnementale,  « bien que ces concepts psychologiques établis diffèrent les uns des autres, ils semblent tous décrire comment les gens varient dans leur réponse aux facteurs contextuels, certains plus affectés que d’autres, se manifestant par des modèles de réponse psychologique ou comportementale qualitativement différents (…) Cette interprétation suggère que la sensibilité environnementale – et sa variabilité – est une dimension importante de la personnalité d’ordre supérieur dont les différents aspects sont reflétés, capturés et décrits dans de nombreux concepts psychologiques existants » (Pluess, 2015). De fait, le point commun de ces différents modèles semble être que les personnes diffèreraient dans la manière dont ils perçoivent et traitent les caractéristiques environnementales, certaines étant généralement plus sensibles et d’autres moins.

Selon Pluess (2015) il serait important de distinguer la sensibilité et la réceptivité. En effet la sensibilité ferait « référence aux aspects de la perception et du traitement interne des influences externes (l’entrée), la réceptivité fait référence aux conséquences comportementales qui en résultent (la sortie) ». « Bien que les différences de sensibilité environnementale soient en grande partie responsables de la manifestation des différences de réceptivité, sensibilité n’est pas synonyme de réceptivité. Etant donné que les réponses comportementales sont généralement influencées par de nombreux facteurs, selon les circonstances spécifiques, une sensibilité accrue peut ne pas toujours être associée à la même réponse comportementale. Par exemple, alors qu’un enfant très sensible peut se comporter de manière plus introvertie et timide dans un environnement social nouveau et inconnu, le même enfant peut se comporter comme des enfants moins sensibles dans un environnement bien connu et un cadre familier » (Pluess, 2015).

Toujours selon Pluess (2015), la sensibilité environnementale présenterait 2 perspectives différentes:

-la 1ère décrivant les processus de développement (des changements dans le temps en réponse à l’expérience passée). Cette perspective fait référence à la plasticité développementale ou phénotypique, cad la capacité d’un organisme à adapter son phénotype au fil du temps aux conditions de l’environnement particulier.

-la 2nde décrivant les processus de réactivité immédiate (la réponse à l’expérience actuelle). Cette perspective fait référence à la sensibilité environnementale comme un trait relativement stable, et impliquerait la continuité de la sensibilité environnementale à traves la vie et à travers les différents contextes.

« Cependant, nous avons besoin de plus de recherches sur le chevauchement potentiel entre la plasticité développementale et la réactivité immédiate pour clarifier la relation entre ces différents aspects de la sensibilité environnementale » (Pluess, 2015).

 

a. Le modèle diathèse-stress

Le modèle diathèse-stress (ou vulnérabilité-stress) est une théorie psychologique qui expliquerait un trouble ou la trajectoire de ce trouble comme étant le résultat d’une interaction entre une vulnérabilité prédispositionnelle (la diathèse) et un stress causé par les expériences de la vie. Il constitue le 1er concept approfondissant les différences individuelles en réponse à des facteurs environnementaux (Lionetti et al., 2019). Ce modèle ne prendrait en compte la sensibilité que comme une vulnérabilité (cad personnes porteuse de gène à risque), à la différence des autres théories (Greven et al., 2019). « Le cadre diathèse-stress suppose que certains personnes sont plus vulnérables aux effets néfastes des expériences et des expositions négatives que d’autres en raison de certaines caractéristiques endogènes de « vulnérabilité » (par exemple, émotivité négative, « gène du risque » », (Pluess & Belsky, 2013). Il est utilisé dans plusieurs champs de la psychologie, et plus précisément dans l’étude du développement des psychopathologies.

Ce modèle a joué un rôle dominant dans de nombreuses recherches psychologiques de la sensibilité environnementale en focalisant l’intérêt sur la vulnérabilité des personnes face à l’adversité (Pluess & Belsky, 2013), « certains individus en raison d’une « vulnérabilité » dans leur constitution, qui peut être de nature comportementale/tempéramentale (par ex, tempérament difficile), physiologique ou endophénotypique (par ex, très physiologiquement réactifs), ou d’origine génétique (par ex, allèles courts du gène de la sérotonine 5-HTTLPR) – sont disproportionnellement voire exclusivement susceptibles d’être affectés négativement par un facteur de stress environnemental » (Belsky & Pluess, 2009). Le modèle proposerait donc que les différences de réponse des personnes aux expériences et aux environnements défavorables résulteraient de la présence de « vulnérabilité » tels que des facteurs psychologiques (par exemple, une personnalité impulsive), des facteurs physiologiques (par exemple une réactivité physiologique élevée) et des facteurs génétiques (par exemple la variation génétique du transporteur de sérotonine (allèle court 5-HTTLPR)).

« La notion de différences individuelles dans la sensibilité environnementale telle qu’elle est impliquée dans les concepts psychologiques traditionnels a généralement été encadrée dans un modèle de diathèse-stress, la sensibilité étant principalement considérée comme une vulnérabilité pour développer des résultats problématiques face à l’adversité. En conséquence, la plupart des recherches sur la sensibilité environnementale sont biaisées vers la psychopathologie, omettant souvent de considérer la possibilité que la sensibilité environnementale puisse s’étendre à des environnements positifs et à des résultats adaptatifs » (Pluess, 2015).

b. La susceptibilité (ou sensibilité) différentielle de Belsky (1997)

Afin d’éviter une répétition laborieuse, pour parler de théorie de susceptibilité différentielle de Belsky, l’abréviation  D.S.T. ( pour differential susceptibily theory) sera employée tout au long des prochains billets.

La D.S.T. est une théorie qui reprend le postulat de la théorie diathèse-stress selon lequel certaines personnes en raison d’une « vulnérabilité » (cad portant des gènes à risque) dans leur constitution (de nature comportementale, tempéramentale, physiologique ou endophénotypique) seraient plus sujets d’être affectées négativement par un facteur de stress environnemental. Ces facteurs de stress pour n’en citer que quelques uns peuvent être de la maltraitance envers les enfants, une parentalité insensible ou un événement de vie négatif (mort, maladie, accident etc.). Cependant à ce modèle de vulnérabilité face aux environnements négatifs, certaines personnes pourraient bénéficier plus fortement également des environnements positifs. Ainsi, la thèse centrale de Belsky (2009) est que les personnes présumées « vulnérables » les plus touchées par de nombreux types de facteurs de stress pourraient être également celles qui bénéficieraient le plus des ressources de l’environnement y compris l’absence d’adversité. Il émet ainsi l’hypothèse que des différences individuelles de plasticité développementale et de sensibilité aux influences environnementales amèneraient certaines personnes à être plus affectées que d’autres par des conditions contextuelles négatives et positives (Belsky & Pluess, 2009).

La D.S.T. consisterait donc en une différence de sensibilité (et de réactions) d’un individu à l’autre vis-à-vis d’une stimulation externe (environnement), en fonction de prédispositions internes (facteurs biologiques et/ou génétiques) et externes (expériences passées, mode de vie, etc.). « La sensibilité différentielle, qui a ses racines dans la psychologie du développement, pose que les individus très sensibles ont une plus grande susceptibilité à l’environnement et suppose une perspective évolutive en posant que les différences individuelles de sensibilité (sensibilité faible et élevée) représentent 2 alternatives stratégiques de développement (plasticité et adaptation faibles et élevées) maintenues par la sélection naturelle pour accroître la diversité et la forme de l’espèce » (Greven et al., 2019).

Les enfants varieraient dans leur niveau de sensibilité sous une logique évolutive « qui considère la dispersion des gènes dans les générations futures comme l’impératif biologique ultime, et par conséquent, le but de tous les êtres vivants. En effet, du point de vue de la biologie évolutive moderne, la sélection naturelle façonne les êtres vivants non seulement pour survivre mais pour se reproduire » (Belsky & Pluess, 2009). Cette fondation évolutive biologique serait la base de l’hypothèse de sensibilité différentielle.

Belsky et Pluess (2009) indiquent qu’un tel raisonnement évolutif mènerait directement à l’hypothèse selon laquelle les enfants devraient varier dans leur plasticité développementale et donc leur susceptibilité à l’éducation parentale, et peut être aux influences environnementales plus généralement. En effet, la D.S.T. proposerait qu’en tant que forme de pari contre un avenir incertain, la sélection naturelle a maintenu des gènes pour des stratégies de santé à la fois « conditionnelles » (cad façonnées par l’environnement) et « alternatives » (fixes). Autrement dit, les variations individuelles de l’ampleur des réponses biologiques réguleraient la sensibilité aux influences environnementales, allant d’influences nocives à protectrices (Silveira & Dubé, 2017).

« Il est important de noter que le cadre de sensibilité différentielle – comme celui de la sensibilité biologique au contexte – est basé sur un raisonnement évolutif plutôt que sur des connaissances cliniques ou autres concernant les origines de la psychopathologie. L’une des hypothèses les plus fondamentales de nombreux scientifiques du comportement est que les humains sont plastiques au niveau du développement, façonnés d’une myriade de façons par leurs expériences de développement » (Pluess & Belsky, 2013).

La théorie de susceptibilité différentielle postulerait que les différences individuelles reposeraient sur des facteurs génétiques mais également des facteurs environnementaux prénatals et posts natals précoces.

c. Le SPS d’Elaine Aron (1997)

Selon Aron et al. (2019) le cadre théorique du SPS a été développé sur la base d’un examen de la littérature animale, « il est intéressant de noter qu’il existe des différences interindividuelles substantielles dans la sensibilité et la réactivité à l’environnement chez les animaux et les humains; certains sont beaucoup plus sensibles et réactifs que d’autres » (Greven et al., 2019), « un grand nombre d’études ont fait la chronique de ces différences de réactivité dans plus de 100 espèces avec un nombre croissant de preuves de différences similaires chez les humains émergeant dans les domaines de la psychologie et de la psychiatrie » (Lionetti et al., 2018), ainsi que des théories du tempérament/trait de personnalité de l’inhibition comportementale, la timidité et l’introversion chez les enfants et chez les adultes, « le SPS est lié à d’autres traits de tempérament et de personnalité reflétant la sensibilité aux environnements. Par exemple, des traits comme l’introversion (ou faible extraversion), le névrosisme (ou l’irritabilité/émotivité négative) et l’ouverture à l’expérience ont été associés à une réactivité accrue aux influences environnementales » (Greven et al., 2019).

Aron & Aron (1997) soutiendraient également que le SPS aurait été confondu avec le névrosisme (tendance persistante des personnes à l’expérience des émotions négatives), la peur ou la réactivité et l’émotivité, « nous avons fait valoir que la sensibilité a été confondue avec le névrosisme (par exemple, Howarth, 1986), la peur (AH Buss & Plomin, 1984; Gray, 1991), la réactivité (Strelau, 1983) ou l’inhibition (Kagan, 1994), car dans le visage de nouveauté, le sensible et le craintif s’arrêteront et choisiront éventuellement de ne pas continuer. De plus, les personnes sensibles deviennent craintives, surexcitées ou plus facilement déprimées par des expériences aversives répétées sans ressources sociales » (Aron & Aron, 1997), « au cours d’une série de 7 études utilisant divers échantillons et mesures, cette recherche a identifié une variable fondamentale unidimensionnelle de haute sensibilité au traitement sensoriel et a démontré son indépendance partielle de l’introversion sociale et de l’émotivité, variables avec lesquelles elle avait été confondue ou subsumée dans la plupart des théories précédentes, par des chercheurs en personnalité » (Aron & Aron, 1997). « Encore une fois, quel que soit le trait qui interagit avec l’environnement, cela nous rappelle quelque chose de plus fondamental que l’inhibition, la timidité, la réactivité ou une faible sociabilité » (Aron et Aron, 1997).  Affirmation encore indiquée plus tard par Aron et son équipe, « néanmoins, les analyses montrent que le SPS se distingue de ces traits » (Greven et al., 2019).

Face à une nouvelle stimulation, des observations effectuées chez les animaux (primates, canidés, rats, chèvres, poisson-soleil) et les humains, montreraient qu’il y aurait  2 stratégies de survie au sein d’un environnement différentes, soit l’exploration, soit une vigilance silencieuse pouvant conduire à un repli (Aron & Aron, 1997). « En somme, il existe des preuves raisonnables d’un certain type (ou d’une variété de types) d’une plus grande sensibilité au traitement sensoriel et d’une discrimination profonde chez une grande minorité d’individus. Si cette sensibilité existe, on peut s’attendre à ce qu’elle se manifeste par une faible sociabilité et une forte émotivité négative chez certains individus sensibles – la première étant une stratégie pour éviter la surstimulation, et la seconde le résultat d’une interaction de ce trait avec des expériences précoces aversives ou socialement non soutenues impliquant des stimuli nouveaux » (Aron & Aron, 1997). Aron et son équipe émettent l’hypothèse que cela serait dû à un système nerveux central plus sensible. Selon eux,  le SPS se caractériserait par une plus grande profondeur de traitement de l’information, une réactivité émotionnelle et une empathie accrues, une plus grande conscience des subtilités de l’environnement et une facilité à être surstimulé. Cela concernerait aussi bien les environnements physiques (nourriture, consommation de caféine), les environnements sociaux (expérience de l’enfance, humeur des autres), les environnements sensoriels (auditifs, visuels, tactiles, olfactifs) et les évènements internes (pensées, sentiments, sensations corporelles telles que la faim ou la douleur).

Face à l’explosion médiatique du concept de SPS, Greven et al. (2019) lors de leur examen critique, mettent en garde. « Du point de vue de l’impact sociétal, SPS a gagné en popularité auprès du public et des médias, avec des programmes en cours de développement et des professionnels formés pour encadrer et soutenir les employés, les dirigeants, les parents et les enfants très sensibles (…). Cependant, la recherche scientifique fondamentale, translationnelle et appliquée sur les SPS est à la traîne, créant un déséquilibre entre le besoin d’information de la société et les connaissances scientifiques recueillies jusqu’à présent. Cela conduit facilement à des interprétations erronées de ce qu’est le SPS, comporte un risque de désinformation et peut-être même un préjudice pour le public, et néglige la responsabilité sociétale de la science« . De quoi interroger le fait de vendre des formations alors que les assises scientifiques du concept ne sont pas encore comprises au mieux. Les partisans du SPS, qui vendent une explication tout faite au grand public se rendent-ils compte de l’impact d’un tel parti pris ? Lorsque je dis partisans, je parle des professionnels et moins professionnels.

d. La sensibilité biologique au contexte de Boyce & Ellis (2005)

La sensibilité biologique au contexte est la différence physiologique de réactivité aux stimuli environnementaux (pression artérielle, accélération du rythme cardiaque, transpiration, réactivité au cortisol). « Les systèmes de réponse au stress augmentent la sensibilité aux environnements négatifs, mais aussi aux ressources et au soutien » (Greven et al., 2019). Une réactivité physiologique élevée qui rendrait les individus très sensibles aux expériences positives et négatives (Pluess & Belsky, 2013). La sensibilité biologique au contexte « met l’accent sur le rôle des influences environnementales dans la formation des différences de sensibilité environnementale au fil du temps (cad, adaptation conditionnelle), les individus exposés à des environnements particulièrement défavorables ou favorables développant une réactivité physiologique plus élevée et, par conséquent, une sensibilité plus élevée aux coûts et les caractéristiques conférant des avantages de l’environnement que ceux qui grandissent dans des environnements plus modérés » (Pluess, 2015).

Il partagerait avec le modèle de D.S.T. « l’opinion selon laquelle certains individus sont disproportionnellement sensibles aux expériences de développement positives et négatives et aux expositions environnementales » (Pluess & Belsky, 2013). Les personnes varieraient dans leur plasticité développementale et leur sensibilité à l’influence de l’environnement. « Boyce et Ellis (2005) ont fait valoir que pour des raisons d’adaptation, les enfants dans des contextes de développement à la fois particulièrement favorables et particulièrement non favorables devraient développer ou maintenir des niveaux élevés de réactivité au stress physiologique, qu’ils considèrent comme un facteur de susceptibilité et donc un mécanisme de plasticité (cad, l’instanciation endophénotypique de sensibilité aux influences environnementales) » (Belsky & Pluess, 2009).

La théorie de la sensibilité au contexte biologique proposerait que la sensibilité d’une personne à l’environnement serait influencée par la qualité des 1eres expériences de la vie. Les environnements de l’enfance particulièrement négatifs ou particulièrement positifs seraient censés prédire une plus grande réactivité physiologique une fois la personne devenue adulte. « La réactivité biologique aux facteurs de stress psychologiques consiste en un ensemble élaboré, hautement coordonné, mais phylogénétiquement primitif, de réponses neuroendocrines neurales et périphériques, conçues pour préparer l’organisme aux défis externes et aux menaces à la survie. Les explications standard du rôle de ces réponses dans la pathogenèse des troubles humains suggèrent qu’une réactivité prolongée ou exagérée, telle que celle observée dans les phénotypes biocomportementaux hautement réactifs, exerce des effets délétères et affaiblissants sur un large éventail d’organes cibles, y compris les structures du cerveau, conduisant à des diminutions de la santé, de la cognition et des capacités fonctionnelles » (Boyce & Ellis, 2005).

e. La sensibilité à l' »avantage » [traduction libre] de Pluess & Belsky (2013)

La sensibilité à l’avantage est la théorie la plus récente, et décrit les différences individuelles en réponse à des environnements et des expériences positifs. Certaines personnes sembleraient bénéficier plus fortement que d’autres des expérience positives qu’elles rencontres, telles que des interventions psychologiques, une parentalité positive ou des relations de soutiens. « Certains individus sont plus sensibles et réagissent de manière positive aux avantages environnementaux auxquels ils sont exposés » (Pluess & Belsky, 2013). « Récemment, Manuck et associés (Manuck, 2011; Sweitzer et al., 2012) ont introduit le terme Vantage Sensitivity pour caractériser le « bon côté » de la susceptibilité différentielle et plus généralement la variabilité en réponse à des expériences positives. Avantage est l’abréviation d’avantage, mais en plus d’impliquer un avantage, un gain ou un profit, il est également défini comme « une position », une condition ou une opportunité susceptible de fournir une supériorité ou un avantage (…) Nous adoptons et promouvons le terme sensibilité avantageuse pour décrire la notion selon laquelle certains individus sont plus sensibles et réagissent positivement aux avantages environnementaux auxquels ils sont exposés. Ces avantages peuvent prendre la forme d’une sécurité d’attachement dérivée d’une parentalité sensible, de réussite scolaire résultat d’une garde d’enfants de haute qualité, d’un comportement prosocial dû à des réseaux d’amitiés favorables et d’une satisfaction de vivre découlant d’événements positifs de la vie, ainsi qu’un sentiment d’efficacité suite à une psychothérapie, pour ne citer que quelques possibilités » (Pluess & Belsky, 2013).

2. Pour résumer les différents modèles de différences individuelles de sensibilité environnementale

Les modèles de différences individuelles de sensibilité environnementale  peuvent être classés en 2 catégories (Slagt & al., 2016):

-les modèles de vulnérabilité: certaines caractéristiques individuelles modifieraient les effets environnementaux. C’est le cas par exemple du modèle diathèse-stress dans lequel « certains individus possèdent des caractéristiques qui les rendent disproportionnellement vulnérables aux risques et dangers de leur environnement, aux circonstances difficiles qu’ils rencontrent ou à une parentalité de mauvaise qualité, bref, ils montrent une vulnérabilité accrue aux facteurs de stress » (Slagt & al., 2016).

-les modèles basés sur l’évolution: la sensibilité différentielle, la sensibilité biologique au contexte, le modèle de sensibilité à l’avantage. « Les modèles de sensibilité environnementale fondés sur les théories de l’évolution suggèrent que les individus les plus vulnérables aux facteurs de stress environnementaux pourraient être ceux qui bénéficient le plus du soutien environnemental. Ainsi, les soi-disant caractéristiques de vulnérabilité peuvent en fait refléter une sensibilité générale à la fois aux circonstances difficiles et favorables » (Slagt & al., 2016).

Quant au S.P.S. de Aron & Aron (1997), « les premiers résultats du modèle de sensibilité du traitement sensoriel étaient conformes à un modèle de vulnérabilité (…) Cependant, dans des travaux ultérieurs, la sensibilité du traitement sensoriel a été considérée dans une perspective évolutive, prédisant explicitement les interactions croisées (Aron et al., 2012) » (Slagt & al., 2016).

Sur le graphique, la ligne rouge correspond au modèle de sensibilité différentielle. Ce modèle de sensibilité différentielle suppose que les personnes sensibles seraient influencées de manière disproportionnée par les facteurs de stress environnementaux positifs (ex. parentalité positive) et négatifs (ex. événements de vie négatifs). Il regroupe ainsi le modèle de diathèse-stress et le modèle de sensibilité à l’avantage.

La ligne en pointillée bleue correspond au modèle de sensibilité diathèse-stress qui suppose que les personnes considérées dans ce modèle comme vulnérables ou résilientes fonctionneraient de manière semblable dans un environnement positif mais auraient des réactions différentes dans des environnements négatifs (par environnement négatifs (risques et dangers de leur environnement, à une parentalité de mauvaise qualité, aux circonstances difficiles, cad une vulnérabilité importante aux facteurs de stress).

La ligne en pointillée violet correspond au modèle de sensibilité à l’avantage qui suppose que les personnes fonctionneraient de manière similaire dans un environnement négatif mais auraient des réactions différentes dans des environnements positifs.

Sur ce graphique n’apparait pas ni le S.P.S. de Aron & Aron (1997),  ni la sensibilité biologique au contexte de Boyce & Ellis (2005) qui même s’ils manifestent des points communs présentent certaines caractéristiques différentes.

3. Sensibilité environnementale et troubles internalisés

Certains chercheurs en sensibilité environnementale émettent l’hypothèse que la sensibilité environnementale serait une caractéristique présente chez les enfants présentant des symptômes d’intériorisation (dépression et troubles anxieux). « Il a été démontré qu’un sensibilité environnementale élevée est en corrélation avec des symptômes internalisés tels que l’anxiété et la dépression dans des échantillons d’adultes, ainsi que des pleurs excessifs, des symptômes physiques médicalement inexpliqués et des problèmes de sommeil, d’alimentation et de boisson chez les enfants (…) dans l’ensemble, la littérature scientifique converge sur l’idée selon laquelle les enfants très sensibles peuvent courir un risque accru de problèmes d’intériorisation, certains études suggérant que cela est particulièrement vrai dans des environnements moins qu’optimaux. Cependant, ce qui reste largement inexploré est l’identification des mécanismes expliquant comment une sensibilité accrue peut augmenter le risque de développement de symptômes internalisés » (Lionetti et al., 2022). Il faut relever l’impact que peut revêtir l’utilisation des mots. Ici « il a été démontré qu’une sensibilité environnementale élevée est en corrélation avec les symptômes internalisés ». Une corrélation met en évidence qu’il y a un lien entre 2 événements, mais  ne permet pas (encore) de conclure que la sensibilité environnementale cause les troubles internalisés. « (…) Une grande partie de cette littérature implique également des recherches transversales et est corrélationnelle. Compte tenu de cela, le rôle causal potentiel de la sensibilité dans le développement de ces troubles n’est pas clair, malgré les affirmations théoriques. Il est possible que les individus deviennent plus sensibles à l’environnement en raison de problèmes de santé mentale et/ou que les corrélations transversales observées entre la sensibilité et les symptômes reflètent une étiologie commune » (Assary et al., 2023).

D’autres chercheurs en sensibilité environnementale suggèrent l’existence de variations importantes dont les individus réagissent aux expériences quotidiennes de la vie, qu’elles soient négatives et positives. « Alors que l’adversité ou le stress chronique et épisodique sont souvent associés à l’apparition d’une série de problème de santé mentale, certaines personnes ne semblent pas affectées par ces expériences. De même, les influences positives, telles que le soutien social ou les interventions thérapeutiques, ne produisent pas toujours les effets positifs escomptés sur le bien-être ou la santé mentale d’un individu. Ces différences individuelles reflètent des variations dans la sensibilité d’un individu aux effets de son environnement physique et social » (Assary et al., 2023).

Ainsi selon les conceptualisations de la sensibilité environnementale, la lecture de l’impact de cette plus grande sensibilité à l’environnement sera différente. Le modèle diathèse-stress part du principe que les caractéristiques individuelles rendraient les individus plus vulnérables aux effets des facteurs environnementaux négatifs (Assary et al., 2023). Les partisans des autres théories de sensibilité environnementale proposent que la sensibilité à l’environnement fonctionne « pour le meilleur et pour le pire ». Ces autres théories comprennent le SPS, la théorie de sensibilité différentielle et la sensibilité biologique au contexte. « Bien que ces théories soient distinctes à divers égards, elles suggèrent toutes que les individus varient dans leur sensibilité/réactivité à l’égard de l’environnement physique ou social, qu’il soit négatif ou positif. Ainsi, les personnes les plus sensibles au facteur de stress réagissent également davantage aux influences positives » (Assary et al., 2023).

4. La vulgarisation conséquente et problématique de la sensibilité environnementale

Une recherche sur google du terme « personne hautement sensible » renvoie à 250 millions de réponses, de même que de nombreux sites prétendent pouvoir quantifier la sensibilité d’une personne ou de ses enfants à l’aide de questionnaires (généralement des auto-questionnaires), des entretiens, voire même des tests ADN (Assary et al., 2023). Des professionnels et moins professionnels, auto-proclamés expert en SPS promeuvent une multitude de services liés au mode de vie, au bien-être, à la clinique et à la psychothérapie dans le but de « tirer le meilleur parti de vos sensibilités (Assary et al., 2023). « Il s’agit d’une tendance inquiétante, car malgré l’intérêt croissant du public et de la recherche, il existe d’importantes lacunes dans la littérature, notamment en ce qui concerne (a) la manière la plus appropriée d’indexer les différences individuelles en matière de sensibilité, ainsi que sa stabilité et son évolution au cours de la vie, (b) les mécanismes sous-jacents et (c) la manière dont la sensibilité est liée au bien-être mental, ainsi qu’au développement, au maintien et au traitement des troubles de la santé mentale » (Assary et al., 2023). 

Comme indiqué précédemment, le modèle d’interaction personne-environnement dominant pour expliquer les différences individuelles en matière de « santé mentale » est le concept diathèse-stress. Le concept de susceptibilité différentielle (comprenant donc le SPS et les autres théories) est moins connue du grand public et des autres domaines de recherche. Les chercheurs de cette théorie appellent à la prudence, « nous devons souligner qu’à l’heure actuelle, ces connaissances,  bien que passionnantes, ne peuvent pas encore être utilisées pour éclairer la pratique clinique directe » (Assary et al., 2023).

5. Conclusion 

La sensibilité environnementale serait un construit intéressant sur le plan de la recherche (Fillon, 2021). Autour de ces différents modèles il y a un bouillonnement scientifique (Fillon, 2021) avec des modèles plus avancés que d’autres. Cependant malgré les études scientifiques présentes « les fondements biologiques de la sensibilité différentielle dans le SPS commencent seulement à être élucidés, et il reste difficile de savoir si les mêmes systèmes biologiques qui supportent la réactivité aux environnements négatifs soutiennent également la réactivité aux environnements positifs chez les individus à SPS élevé. Nous devons également mieux comprendre comment les principales caractéristiques hypothétiques du SPS sont liées les unes aux autres (profondeur du traitement, réactivité émotionnelle et empathie, sensibilité aux subtilités, surstimulation), et accroître la compréhension étiologique et neurale sous-jacente au cadre de sensibilité au traitement sensoriel » (Greven et al., 2019). Autrement dit, les causes et facteurs biologiques rendant certains individus plus sensibles que d’autres aux influences environnementales positives et négatives dans le SPS ainsi que le lien entre les principales caractéristiques du SPS ne sont pas encore connus et expliqués. Les chercheurs ne savent pas encore si les mécanismes biologiques déclenchés suite à un événement positif sont les mêmes que ceux déclenchés suite à un environnement négatif, chez les personnes à SPS. Il en va de même pour les hypothèses des autres courants de sensibilité environnementale qui doivent continuer elles aussi, à être étayées scientifiquement, et ce de manière répétées, dans le but de pouvoir les confirmer ou les infirmer.

« Ce qui n’a jamais été clair – mais noté à plusieurs reprises – dans tous les travaux cités ci-dessus, c’est si une telle sensibilité différentielle à l’influence de l’environnement est un domaine général et donc un trait ou un domaine spécifique. Autrement dit, les mêmes enfants sont-ils plus touchés que les autres par des expériences et des expositions différentes  ? Par exemple, les enfants qui semblent affectés de manière disproportionnée par la qualité de la parentalité sont-ils les mêmes que ceux qui s’avèrent les plus sensibles à l’influence des pairs ? Dans le même ordre d’idées, les enfants dont le comportement problématique est le plus affecté par la dureté de la parentalité sont-ils ceux dont le développement du langage est le plus influencé par la richesse de leur environnement linguistique à la maison  ? En d’autres termes, à quel point la susceptibilité est-elle spécifique en ce qui concerne à la fois les «entrées» développementales (par exemple, la garde d’enfants, le rôle parental) et / ou les «sorties» (par exemple, l’agressivité, la cognition). Les enfants sont-ils donc « différemment, différemment sensibles » ? » (Belsky & al., 2021)

Samantha D.

Sources

Aron, E. N., & Aron, A. (1997). Sensory-processing sensitivity and its relation to introversion and emotionality. Journal of Personality and Social Psychology, 73(2), 345‑368. https://doi.org/10.1037/0022-3514.73.2.345

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